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Sur le rapport Bockel : L’ACEPP réaffirme sa façon de voir les parents

L’ACEPP attire l’attention de ses adhérents sur le rapport inquiétant sur la "Prévention de la délinquance des jeunes" remis au président de la République, le 3 novembre 2010, par Jean-Marie Bockel*, alors secrétaire d’État à la Justice. Des analyses et quinze propositions sont émises qui vont à l’encontre des valeurs défendues par le mouvement ACEPP. Faisant suite à d’autres rapports parus sur cette question (voir encart) depuis 2005, on constate qu’un discours s’installe visant à faire porter aux seuls parents la responsabilité de la délinquance des jeunes, de leur échec scolaire… et donc à se retourner vers eux seuls pour expliquer des faits de société. Ce discours finit par être intégré comme une normalité par l’ensemble de la population.

par Emmanuelle MURCIER, Déléguée ACEPP Parentalité et respect de la diversité

Analyse du rapport :

Au travers du rapport, une des causes supposée du développement de la délinquance, en particulier de la délinquance juvénile, est la "perte ou le déficit d’autorité parentale". En effet, les mesures proposées en direction des parents concernent au moins un tiers des propositions et prennent le nouveau vocable de "soutien à la responsabilisation parentale". Le rapport fait remonter la perte de l’autorité parentale à une perte des "schémas familiaux traditionnels", se plaçant ainsi dans un mouvement global qui renie depuis quelques temps les avancées sociales engendrées depuis le début des années 70.
"En lieu et place du chef de famille qui concentrait naguère le pouvoir de décision, l’autorité parentale est une notion aujourd’hui qui manque d’ancrage dans une société en perte de repères. Les recompositions qui affectent la sphère familiale ne sont certes pas toutes négatives, notamment en ce qui concerne la place des femmes et la redistribution des rôles au sein de la famille comme dans le reste de la société. Mais comme tout progrès, la libéralisation, intervenue depuis le début des années 70, a sa part d’ombre."
"On peut ainsi en conclure que la création d’une prétendue démocratie familiale, créatrice de confusion entre les droits et devoirs des parents et des enfants, reste mal assimilée par le corps social. Confusion qui s’exacerbe sous la pression de l’éclatement de la famille et la désacralisation des parents et de l’école."
Si cette vision des choses pourrait être qualifiée de simplement maladroite, ce qui est beaucoup plus inquiétant, en revanche, c’est le lien qu’il établit entre perte de l’autorité parentale et l’accroissement des familles monoparentales (terme sur lequel il faut que l’on revienne, car dans la plupart des cas, bien que séparés, les deux parents s’occupent de l’enfant), et l’intégration des familles d’origine étrangères.
"La paternité traverse une crise, alors que les familles monoparentales se multiplient. Les difficultés subjectives qui pèsent sur l’exercice de l’autorité parentale se conjuguent à des freins objectifs qui résultent aussi pour une part des difficultés d’intégration d’une partie de la population migrante."
"De fait, le père, souvent absent du processus éducatif ne joue plus son rôle de tiers séparateur. Ce constat s’aggrave dans certaines familles d’Afrique noire où la mère s’occupe exclusivement des enfants pendant toute la période du primaire, dans certaines familles d’origine maghrébine, la mère joue à l’égard des garçons un rôle de surprotection néfaste à l’acquisition des interdits républicains."
Sur ce point, nous voudrions insister sur le fait que ce rapport ne se base sur aucune donnée chiffrée et qu’à part les affirmations ou les convictions de son auteur, on ne peut de façon simpliste faire un lien entre ces trois phénomènes. N’oublions pas que les données statistiques basées sur des données ethniques sont interdites en France !

La diversité des pratiques éducatives parentales ramenées à une norme

Un autre point important à souligner est que le rapport traite non seulement de la délinquance mais aussi de la déviance :
La délinquance est une construction juridique qui désigne l’ensemble des crimes et délits commis sur un espace et en un temps donné, et se détermine par rapport à la loi. La déviance est quant à elle une construction sociale qui désigne l’ensemble des conduites qui s’écartent de la norme et se détermine par rapport à des "valeurs".
Une telle approche, purement comportementaliste, ne peut avoir comme résultat qu’une uniformisation de l’éducation, une négation de la différence, témoignant d’un désir de contrôle et d’une exacerbation de la peur de la différence.
Le rapport propose de s’appuyer sur une nouvelle notion celle de "parentalité républicaine", notion non définie, mais qui vraisemblablement a pour objectif de construire une norme unique qui lisserait les différentes pratiques éducatives.
"Il ne s’agit ni plus, ni moins que de créer les conditions du rétablissement de la parentalité républicaine. (…) Ainsi, certains parents d’origine étrangère ne perçoivent la France que comme un pays dans lequel il serait interdit de punir et interprètent la liberté comme un droit à la permissivité."

Soutien à la parentalité ou sanctions ?

Face à des parents qui, selon le rapport, "ne peuvent plus exercer leur autorité" différentes réponses sont proposées :
-  la généralisation des séances de coaches, des écoles des parents, stages obligatoires dont la prescription en termes de durée varie selon les difficultés repérées.
-  "L’État, face à une parentalité en berne, en échec ou en difficulté, doit assurer la formation des parents en généralisant les écoles de parents, en développant le "coaching parental", en prenant appui sur les réseaux d’aide à la parentalité et en responsabilisant les parents par rapport à l’école."
-  "Il s’agit de renforcer les capacités parentales et notamment les capacités de parents à parler avec leurs enfants par une approche comportementaliste de la parentalité qui repose sur des constats avérés."
-  la généralisation des contrats de responsabilité parentale et des conseils des droits et des devoirs des familles, très peu mis en place par les conseils généraux et les villes, parce que controversés en raison de leur caractère répressif vis-à-vis des parents.
-  Le recours à des sanctions pénales est revendiqué clairement : un des chapitres est intitulé "Pour une économie de la sanction parentale" avec une échelle de réponses et de sanctions progressives : il s’agit de mettre en application une politique pénale des manquements volontaires à l’exercice de l’autorité parentale, sans que ceux-ci soient définis. De même, le rapport propose de supprimer la notion "d’excuse valable" pour l’application des articles de loi permettant de sanctionner pénalement des parents ne répondant pas à leurs obligations légales au point de compromettre l’éducation de leur enfant. "En effet, la notion d’excuse valable est dangereuse car elle relégitime les parents défaillants et les prive d’une conscience salutaire."
-  La détection des enfants de deux ans présentant des troubles est de nouveau suggérée, dans la lignée des propositions de l’INSERM, dénoncées par le Collectif « Pasde0deconduite ».

Ce rapport est inquiétant, dans son contenu de par :
-  Les raccourcis insidieux réalisés entre perte d’autorité, familles monoparentales et d’origines étrangères. La désignation de groupes cibles comme boucs émissaires nous paraît dangereuse.
-  L’approche de l’autorité et de la répartition des rôles entre pères et mères qui apparaît rétrograde et ne peut expliquer, à elle seule, les problèmes de délinquance actuels.
-  L’intervention de l’État sur la question de la déviance des pratiques parentales interroge le respect de la vie privée des parents et le risque qu’il y aurait à vouloir "formate" les pratiques parentales.
-  La généralisation de dispositifs répressifs hors voie pénale, comme les contrats de responsabilité des parents ou les conseils des droits et des devoirs des familles pose la question des moyens de "défense" des parents. Contrairement aux sanctions pénales et même aux conseils de discipline dans les collèges ou lycées, les parents ne disposent, dans ces dispositifs, d’aucun moyen de défense par des tiers (pas d’avocat, pas de soutien d’associations de parents…).

Ce rapport est aussi préoccupant dans son approche :
-  Face à des problèmes complexes, dont les dimensions sont à la fois sociales, économiques, culturelles et politiques, le rapport simplifie à outrance la question des causes de la délinquance et se centre sur la parentalité. On se trouve ainsi face à une logique d’individualisation des problèmes sociaux, dans laquelle les individus sont seuls responsables de problèmes qui sont aussi sociétaux. (Cf. Rapport de Dominique Versini, défenseure des Droits des enfants sur la pauvreté des enfants)
-  Cette individualisation et cette centration sur les comportements des individus en rapport avec une norme permet ensuite d’adopter sans nuances une approche comportementaliste qui nie ce qui est purement humain (histoires de vie, etc.), les contextes de vie et applique sur des individus des réponses simplifiées et universelles, qui s’en trouvent par là-même inefficaces (il ne suffit pas de donner des informations sur la République ou de sanctionner les parents pour qu’ils aient davantage d’autorité…). Cette approche nie ainsi la dimension humaine de sujet des personnes en les réduisant à leur comportement.
-  Ce rapport est révélateur d’une évolution importante dans l’approche du travail social au sens large. Comme pour la petite enfance, où on réduit le travail en crèche au fait de "garder" les enfants, on réduit ici les savoirs faire autour de l’accompagnement des parents à des actes simples, par exemple, apporter de l’information aux parents et les sanctionner si leurs comportements n’évoluent pas. Cela permet de limiter, en les niant, les compétences humaines et complexes dont doivent faire preuve les professionnels pour permettre une réelle évolution des situations. Ce rapport nie la multiplicité des approches, et notamment celles qui existent en France depuis des dizaines d’années et ont donné des résultats probants.

Face à ce rapport, l’ACEPP refuse :
-  La désignation de certains parents comme groupes cibles et boucs émissaires ;
-  L’individualisation des problèmes sociaux et affirme le principe de la coéducation et de la coresponsabilité. Elle n’accepte pas que face à la délinquance, seuls les parents soient montrés du doigt, niant ainsi le rôle de la crise sociale, culturelle et économique que nous traversons ;
-  Une approche comportementaliste qui nie la personne en tant que sujet pour se centrer uniquement sur son comportement ;
-  Toute politique de culpabilisation, de sanction des parents, de contrôle social.

L’ACEPP demande :
-  La reconnaissance et la valorisation du rôle des parents, pères et mères, dans l’accompagnement des enfants dans le respect de leurs cultures familiales ;
-  Le renforcement des lieux et des espaces où les parents peuvent ajuster à leur rythme et sans contrôle ou jugement, leur posture de parent en fonction de leurs propres valeurs ;
-  Le renforcement des moyens des organismes qui accompagnent les enfants en cas de difficulté, et ceci toujours en dialogue avec les parents ;
-  La mise en place de politiques d’amélioration des conditions de vie des enfants (lutte contre la pauvreté, accès au logement…) et de leurs parents (conciliation vie familiale/vie professionnelle) pour soutenir ces derniers dans leur rôle et assurer une réelle prévention, comme le préconise le rapport de la défenseure des enfants sur la pauvreté.
-  Une politique de mixité sociale qui lutte contre l’isolement des familles et l’existence de cités « oubliées ».

Cette position de l’ACEPP sur le rapport Bockel a été votée au conseil d’administration du 11 décembre 2011.

Contact Acepp : Emmanuelle MURCIER, Déléguée Acepp Parentalité et respect de la diversité - tél. : 01 44 73 85 29 - mail : emmanuelle.murcierATacepp.asso.fr

* Depuis, suite au dernier remaniement ministériel de novembre 2010, M. Bockel a quitté le gouvernement mais le Premier ministre François Fillon l’a, le 14 janvier 2011, chargé d’une mission de six mois visant à apporter "une impulsion nouvelle" à la prévention de la délinquance en France.

Depuis 2005, plusieurs rapports ont précédé le rapport Bockel sur la prévention de la délinquance des jeunes :
Dans le cadre de la Mission sur la prévention de la délinquance des mineurs et jeunes majeurs, Jean-Yves Ruetsch a remis, le 18 février 2010 au Secrétaire d’État à la Justice, un rapport d’étape : Prévenir la délinquance des jeunes : Un enjeu pour demain.
Le 23 décembre 2010, Bernard Reynès, député, a remis au Premier ministre un rapport sur l’application de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.
En 2004-2005, deux rapports étaient parus quasiment simultanément, traitant de la prévention de la délinquance : l’un, issu de la commission de prévention présidée par Jacques Alain Bénisti faisant des propositions et inscrivant des actions dès l’accueil en crèche et l’autre, par l’Inserm sur la prévention d’une nouvelle maladie touchant l’enfant et l’adolescent : le trouble des conduites. (Rf. La Gazette de l’ACEPP n°83-84 de février 2006).

in La Gazette de l’ACEPP n° 98 - janv. 2011 (pages 6 à 9)

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