Nous = Innovons !
Lorsque de jeunes parents se mirent à organiser des "collectifs enfants parents", ils y mettaient leurs aspirations, leurs valeurs, leur créativité et de leur temps, le tout tricoté au quotidien, sans référence à un modèle préétabli. Qu’avaient-ils à voir avec l’approche de la petite enfance des générations précédentes ?
La mortalité infantile était un problème dépassé.
Nous croyions au partage des rôles, à l’égalité entre hommes et femmes. La petite enfance n’était plus seulement une affaire de mamans, mais aussi de papas.
Les naissances étaient désormais voulues et le jeune enfant avait acquis une personnalité, un statut à nos yeux.
Certes, étant donné que quasiment toutes les jeunes femmes souhaitaient avoir une activité professionnelle, la question "mais qui va garder l’enfant ?" se posait. Mais il n’était pas question d’abandonner son enfant à une quelconque gardienne (même si elle avaient récemment acquis le statut d’assistantes maternelles), non plus qu’à une de ces crèches "disciplinaires" où il était interdit de poser un pied parental (qui eût pu apporter de vilains microbes), où les enfants étaient revêtus des vêtements de la crèche à leur arrivée, restaient sur le pot ou au lit à heures précises, tous ensemble, etc. et où d’ailleurs il n’y avait pas de place !
On peut dire que ce qui se vivait, s’expérimentait dans ces collectifs enfants parents, on parlait alors d’"expérimentations sociales", était le produit de toutes ces mutations sociales, culturelles, répercutées au sein du couple et de son désir d’enfant.
Difficile de dire si c’est Françoise Dolto(1) qui a tellement influencé cette génération ou si elle a capté et mis sur les ondes ce qu’elle a compris des aspirations de cette génération… Toujours est-il que ces parents vivaient leurs expériences, tranquilles, entre soi.
Du côté de l’État = Innovez ! Je transforme, je réforme...
L’État (central car c’était avant la décentralisation) était prospère, tout comme l’économie et la société. Certes, le premier choc pétrolier avait provoqué quelques secousses et le spectre du chômage, depuis longtemps oublié, s’était pointé à l’horizon, mais rien ne pouvait entamer le solide optimisme de notre "société d’abondance et de prospérité". Donc, on poursuivait la modernisation et le progrès social, avec aux commandes une partie ("éclairée") de la technocratie d’État et des hommes politiques. Un mot magique : l’INNOVATION. Il y avait dans tous les ministères des lignes spéciales chargés de prospecter, d’encourager l’innovation (culture, urbanisme, social, travail, emploi…) et le cas échéant, des groupes de travail chargés de l’utiliser pour moderniser et dynamiser le secteur concerné.
C’est ainsi que, concernant le secteur de la petite enfance, étaient nés : le diplôme d’éducateur de jeunes enfants (à priori pour les jardins d’enfants : 1973), le décret redéfinissant le rôle des crèches (1974), la loi créant le métier d’assistante maternelle (1976), les crèches familiales, les haltes-garderies (1979), et on encourageait les mini-crèches encore expérimentales.
Lorsque les premiers collectifs de parents sont sortis du bois(2), pour chercher des subsides pour pouvoir payer des locaux, salarier leurs permanents, améliorer leur aménagement, ils n’ont pas eu de difficulté à se faire entendre et accueillir par la caste des "promoteurs de l’innovation" au sein de l’État.
Ils se sont chargés de vite transformer leurs "expérimentations" en "innovation" : décision du conseil des Ministres en juillet 1980 "d’encourager les modes de garde à initiative associative".
Dans la foulée, nos technocrates éclairés ont sortis de leur chapeau un projet de décret instituant, sans aucune concertation, les "crèches parentales". _ Mais ce décret sera bloqué sous diverses pressions, notamment des milieux professionnels : il est, pensaient les réformateurs, plus facile et rapide de produire de nouvelles réglementations que de faire évoluer les esprits et les pratiques. Cependant l’histoire prouve qu’il n’en n’est rien...
Une circulaire, revue et corrigée a suivi le projet de décret, sans suite également, puis une note de service provisoire valable(3) pour un an. Et c’est ce petit texte sans valeur règlementaire officielle qui a, bon an mal an, servi jusqu’à la publication du décret d’août 2000. Il a fallu dix-huit ans et quatre ou cinq projets avortés pour faire aboutir la refonte complète du texte d’ensemble sur l’accueil : entre temps, les mentalités avaient pu évoluer, les pratiques et la situation sur le terrain aussi et donc le décret aboutir.
Néanmoins, dès 1980, l’État reconnaissait :
Non pas les collectifs enfants parents mais les crèches parentales,
La place des parents : leur participation à l’accueil et la responsabilité partagée association/responsable technique,
Les petites structures de proximité (les crèches avaient alors jusqu’à cent-vingt places),
Une rupture avec l’hygiénisme en admettant un suivi médical et des règles plus souples.
(1) Françoise Dolto (1908-1988), est une pédiatre et psychanalyste française. Elle s’est largement consacrée à la psychanalyse dont elle est une des pionnières.
(2) Solange Passaris, La participation parentale dans les modes d’accueil de la petite enfance. 2. Le mouvement des crèches parentales et ses rapports aux institutions ; Paris, Ecole des hautes études en sciences sociales, 1984.
(3) Note de service D.G.S.H – D.A.S du 24 août 1981. Objet "formules innovantes de modes de garde".